TIBET.CN > Récits du Tibet

Les herbes verdissent durablement au premier méandre du fleuve Jaune - Hommage à Wang Wanqing, le « menpa des steppes » (III)

2025-04-27 16:50

En 2024, le décès du docteur Wang Wanqing a suscité une vive émotion parmi les habitants de la plaine de Maqu. Bien qu'il ait laissé un testament préconisant une cérémonie funèbre simple, sans ostentation, des foules se sont spontanément réunies pour lui rendre hommage. Le temps n'effacera pas les souvenirs, le peuple n'oubliera pas ce médecin qui a parcouru toute la prairie de Maqu durant sa vie, le respect et la nostalgie que les foules lui vouent sont profonds. Qui était donc vraiment Wang Wanqing ? 

(III) Des mémoires qui dévoilent les secrets d'une vie de dévouement 

Dans l'émission « Touching China », l'animateur avait demandé à Wang Wanqing : « Après tant d'années passées dans la prairie, est-ce que vous vous sentez heureux ? » Wang Wanqing répondit : « Oui, je suis heureux. La seule raison de mon bonheur, c'est que la prairie a donné un sens à ma vie. » 

Mais quel sens de la vie avait pu donc pousser Wang Wanqing à consacrer son existence entière  aux habitants de Maqu, toutes ethnies confondues ? 

Homme réservé, Wang Wanqing n'aimait ni les rassemblements ni les banquets, à la retraite, il sortait peu de chez lui, passant le plus clair de son temps à écrire et à dessiner. Quelqu'un lui suggéra un jour : « Pourquoi ne pas peindre tes souvenirs ? » Ainsi naquit sa série de 150 planches de son album illustré intitulé « Moi, au premier méandre du Fleuve Jaune. » Feuilleter ces souvenirs précieux, à travers la poussière du temps, donne un nouvel éclairage de Wang Wanqing, et permet de redécouvrir son esprit et ses idéaux. 

Commençons par les deux « miracles » rapportés par Qijun Tsering. 

En 1984, un jeune berger de 10 ans, Nanmumai, a été transpercé à l'estomac par une corne de bovin, ses intestins sortaient à l'air libre. Transporté le lendemain soir au Centre de santé de Walwantsang, du fait de son état critique, l'enfant était en danger de mort. Le Centre de santé n'avait pas les moyens de l'opérer, le transfert vers un autre hôpital aurait impliqué de franchir une montagne de 4 000 mètres d'altitude, de traverser sept rivières sans pont, et de parcourir plus de 100 li (50 kilomètres), sans moyen de locomotion, de sorte qu'un décès pouvait survenir à tout moment en chemin. 

La famille proche de l'enfant avait déclaré : « Si vous ne le soignez pas, nous rentrons chez nous. » 

Dans l'esprit de Wang Wanqing défilèrent des avertissements comme : « de grands risques, de lourdes responsabilités », « être au bord du précipice, marcher sur des œufs », « une vie est en jeu, il faut être extrêmement prudent », il savait pertinemment que l'opération était périlleuse, mais son devoir de médecin lui conjura : « ne jamais abandonner une vie, ne pas laisser passer une lueur d'espoir. » 

Avec l'accord des parents et des responsables locaux, il assembla deux bureaux ensemble pour improviser une table d'opération, improvisa un éclairage avec deux lampes torches et une ampoule pour remplacer l'absence de lampe de salle d'opération, aussi il alluma un petit générateur. Il opéra lui-même, assumant à la fois le rôle de chirurgien et d'anesthésiste. L'opération dura toute la nuit : il retira 84 centimètres de tubes intestinaux nécrosés. Le petit Nanmumai allait survivre. 

Ce sauvetage bouleversera toute la prairie de Maqu, les éleveurs vont se passer le mot : « Le ‘médecin aux grands pieds' est incroyable, il ressuscite les morts ! » C'était du jamais vu dans le comté de Maqu, ni même dans toute la préfecture autonome tibétaine de Gannan. 

En 1995, un jeune berger tibétain de 7 ans dont la tête avait été transpercée par une corne de bovin était grièvement blessé, son crâne était fracturé et il était pris de fièvre et de convulsions, quand il a été transporté à l'hôpital ses proches n'avaient plus d'espoir. Bien que les médicaments purent temporairement stabiliser son état, seule une intervention chirurgicale pouvait le sauver.  

Wang Wanqing hésita, sur le plateau de Maqu, la chirurgie crânienne était contre-indiquée et elle n'avait jamais été pratiquée dans le comté auparavant, le froid intense couplé au manque d'oxygène entraînait de grands risques imprévisibles, pouvait-il réussir ? Après avoir eu une intense réflexion, Wang Wanqing a pris sa décision : « Je le fais ! L'opération ne peut que réussir, pas échouer ! » 

Avant l'opération, Wang Wanqing a fait plusieurs préparatifs, analysé les données disponibles, établit un protocole, son épouse l'assista comme infirmière, son fils aîné Wang Tuansheng l'aida en tant qu'assistant, tout le monde collabora et l'opération fût un succès. Après l'opération, la forte fièvre du jeune berger a rapidement diminué, il a cessé de convulser, la fuite de liquide cérébrospinal s'est résorbée, il n'y a pas eu de saignement majeur, pas de gonflement du tissu cérébral, toutes ses fonctions neurologiques étaient normales et il a pu quitter l'hôpital après avoir récupéré. Wang Wanqing donnera plus tard des conférences universitaires sur les traumatismes crâniens et publiera des articles scientifiques sur la question. 

Des « miracles » comme ceux-là, il en a accompli à la pelle pendant son existence : secourir une femme en choc hémorragique sur un tas de bouses séchées, faire des transfusions dans une équipe de production sans matériel adapté, ce qui n'avait jamais eu lieu dans la prairie de Maqu ; il soigna avec succès des patients atteints d'œdème pulmonaire dû à l'altitude, ce qui fût une première dans la prairie de Maqu ; il traita une petite bosse sur le cou d'un vieux moine qui avait soudainement grossi et il réalisa avec succès la première opération du cou à l'hôpital depuis de nombreuses années ; un adolescent tibétain avec un ventre proéminent a été traité avec succès, ce qui fût une embardée à haut risque contre l'anthrax intestinal, et c'était le premier cas traité dans la région... 

Plus ses compétences se développaient, plus sa responsabilité était conséquente. Au cours de sa carrière médicale, Wang Wanqing a traversé mille obstacles, surmonté dangers, peurs et doutes, mais comme nous le constatons il a toujours été guidé par ses convictions, son intention première, son dévouement et son engagement.  

Wang Wanqing est une personne humble, en 1999, il devient le premier médecin titulaire de niveau senior dans la préfecture de Gannan, il se garda pourtant de toute autosatisfaction. Ce n'est qu'en sauvant un patient ou en apportant quelque chose à la médecine locale qu'il laissait apparaître dans ses écrits les mots « satisfaction », « joie », ou « fierté ». Il répétait souvent qu'il n'avait que trop peu contribué à la médecine des prairies, mais en vérité, il a tant donné. 

Plus tard, il a déclaré : « Là où je vis, c'est le premier méandre du Fleuve Jaune, sur la prairie de Maqu, une région multiethnique. Dans un tel environnement, les idéaux d'un médecin ici se résument en deux choses : sauver des vies et renforcer la cohésion des ethnies. » Ce médecin de l'ethnie han venu de Shanghai voulait, à travers son travail qui consistait à soigner des patients et sauver des vies, contribuer à la solidarité entre les ethnies. 

Un jour de l'été 2000, un vieux berger blessé lors d'un conflit de pâturages avait été transporté à l'hôpital. Wang Wanqing et ses collègues ont rapidement procédé à une intervention chirurgicale, le vieil homme était maigre et en mauvaise santé, et son cœur s'arrêta même un instant. Il y a eu plusieurs moments critiques et les médecins ne pouvaient se permettre de faire la moindre preuve de négligence. Après avoir été secouru, le vieil homme s'est rétabli et a pu quitter l'hôpital, avant de partir, il a dit expressément à Wang Wanqing : « Je t'ai causé du souci. » Ces mots simples exprimaient la gratitude et la compréhension du patient envers le médecin. 

Wang Wanqing a écrit dans ses mémoires : « Cette intervention couronnée de succès, a non seulement sauvé une vie, mais a aussi évité l'intensification des conflits, contribuant à la résolution des litiges sur les prairies. » 

Après avoir pris sa retraite, Wang Wanqing se procura un tricycle électrique et y accrocha une bannière portant l'inscription : « Médecin retraité, soins gratuits en tournée. » Habituellement, il sillonnait les rues avec son tricycle, pour proposer des consultations bénévoles. Lors des fêtes où étaient organisées des compétitions équestres ou des cérémonies religieuses, il était toujours présent pour vulgariser ses connaissances en matière d'hygiène, distribuer des médicaments et prodiguer des conseils. Il revenait souvent à Walwantsang, village qu'il connaissait par cœur et auquel il resta profondément attaché à ses habitants. Ce n'est qu'au moment où il entra dans un âge très avancé, qu'il dut se résoudre à lever le pied dans ses déplacements. 

Wang Wanqing a toujours été consciencieux et responsable à l'égard des éleveurs et des habitants de Maqu, qui le lui rendaient bien. 

En 1970, pendant un hiver glacial, Wang Wanqing est allé travailler dans une équipe de production avec un groupe de travail, il a attrapé un gros rhume et s'est senti mal de la tête aux pieds, effondré, il dormi seul plusieurs jours sans manger dans une tente en peau de yack glaciale. Une femme tibétaine d'un certain âge qui marchait sur la glace et la neige, glissait à chaque pas, en se rendant à son chevet afin de lui apporter une bouillie de riz chaude. À cette époque, le riz était très précieux. En regardant cette dame puis le bol de bouillie chaude, Wang Wanqing en avait presque les larmes aux yeux.  

En 1973, un éleveur a demandé à Wang Wanqing de venir le consulter. Cet homme tibétain aux airs de déjà-vu a amené Wang Wanqing dans un endroit qu'il ne connaissait pas, de la fumée blanche s'élevait à l'extérieur de la tente en peau de yack noire, et divers aliments étaient disposés sur le sol : du guoli (une sorte de nouilles frites, en forme de long beignet), de gros morceaux de viande cuite, des morceaux de sucre et des fruits secs. Wang Wanqing savait qu'il y avait un patient âgé dans la maison, mais la maîtresse de maison et l'homme n'arrêtaient pas de le persuader de manger. Après un long moment, l'hôte dit à Wang Wanqing : « Le patient n'est déjà plus en vie. Vous faire  venir aujourd'hui et vous le dire est en fait une des volontés du défunt. » 

En 1988, Wang Wanqing s'est retrouvé pris dans la neige alors qu'il accompagnait ses enfants à l'école. Ils étaient à bout de force, souffraient du froid et étaient affamés. Finalement, lui et ses deux enfants ont été recueillis par un berger. Les dogues tibétain aboyaient, sa hutte était chaude et Wang Wanqing a vécu une nuit inoubliable en buvant du thé au lait chaud. Wang Tuansheng indiqua que son père n'avait pas beaucoup d'amis, il vécut à Maqu toute sa vie, et ses seules personnes vraiment proches étaient ses patients. 

Mais ces si attachants patients, ces éleveurs de la prairie, étaient devenus pour lui ses meilleurs amis et ses gens les plus proches. 

Son épouse indiqua que : « Wang Wanqing était déjà devenu un habitant de Maqu. » 

Et pourtant… Tout autant qu'il était un « habitant de Maqu », Wang Wanqing n'a jamais cessé de penser à Shanghai, sa ville d'origine. 

Quittant sa famille, embarqué dans le train qui l'emmenait vers l'Ouest, il se promit silencieusement : « Shanghai, je reviendrai. » Lorsqu'il a été blessé lors d'une visite médicale, il a repensé à l'amour de sa famille et aux sentiments qu'il éprouvait dans sa ville natale de Shanghai, qui étaient à la fois chaleureux et mélancoliques. En pensant à sa ville natale, Wang Wanqing jouait de la flûte qu'il avait apportée lorsqu'il avait quitté la maison, et le son de cet instrument était mélodieux. Quand ses parents étaient encore en vie, ils envoyaient régulièrement à Wang Wanqing le journal du soir Xinmin de Shanghai, et il pouvait alors ressentir l'atmosphère de sa ville natale à travers ce quotidien. 

Mais Wang Wanqing finira par choisir avec conviction de rester à la prairie de Maqu. 

Lors de sa toute première tournée médicale à Walwantsang, Wang Wanqing tomba accidentellement de son cheval et se blessa le bras droit. Le traitement à l'hôpital du comté s'est avéré inefficace, donc avec l'approbation de ses supérieurs, Wang Wanqing est retourné à Shanghai pour se faire soigner. Les gens de la prairie pensaient qu'il ne reviendrait jamais, ils ne s'attendaient pas à ce qu'il revienne pourtant deux mois plus tard. Celui-ci avait secrètement pris la résolution suivante : « Je me suis engagé à servir la prairie et je ne peux pas revenir sur ma parole. » 

Plus tard, Wang Wanqing a progressivement obtenu de bons résultats dans la pratique de sa médecine. Il a reçu des invitations à des conférences universitaires à l'étranger, et on lui a également invité de s'installer à l'étranger. Pourtant, il affirma : « Il est évident que je ne peux pas quitter la prairie. »

 

À l'aube du XXIe siècle, d'anciens camarades de Shanghai vinrent le visiter dans la prairie. L'un de ses camarades de primaire était venu par avion des États-Unis. Wang Wanqing était heureux pour leurs succès et vies heureuses, mais se dit à lui-même : « Pas de regrets, pas de tourment, peu de soucis ; il y a beaucoup de bonheur, avec amour et droiture. » 

Il retourna à Shanghai deux fois, en 2004 et 2005, et a parcouru le « delta du fleuve Yangtze » à vélo. Lui qui était déjà à la retraite envisagea même d'y rester : « Restes-là, ici il y a les fines pluies de la région du Jiangnan, une vie moderne, il faut faire ce choix, il n'y a rien à y redire. » Mais finalement, il choisit à nouveau de retourner sur la prairie, le premier méandre du fleuve Jaune porte en lui un lien indéfectible de vie et de mort. 

Wang Wanqing a un jour dit avec émotion : « En réalité, Shanghai m'a toujours manqué ! Il y a quelques années encore, je regrettais un peu de ne pas y être retourné, mais aujourd'hui, j'ai compris que la prairie était ma maison. Je veux y rester pour toujours, continuer à contribuer tant que je le peux, soigner et distribuer des médicaments aux habitants, jusqu'à ce que mon cœur cesse de battre. » Wang Wanqing avait encore renoncé à une occasion de retourner à Shanghai, il ne pouvait pas abandonner sa famille, et encore moins les éleveurs qui avaient besoin de ses soins. 

Peu à peu, nous avons compris le sens de la vie de Wang Wanqing. 

En juillet 1969, dès le lendemain de son arrivée à Maqu, Wang Wanqing se rendit au cimetière des martyrs du comté pour honorer la mémoire des héros. Il a un jour écrit un poème pour leur rendre hommage : « Vous êtes venus des quatre coins du pays, vous vous êtes sacrifiés pour la libération de la prairie ; vous reposez à jamais au premier méandre du fleuve Jaune, l'esprit des martyrs de la révolution est immortel. » Plus tard, chaque fois qu'il chevauchait à travers les prairies parsemées de petites fleurs jaunes, Wang Wanqing ressentait profondément qu'il était un héritier de leur sacerdoce. 

Wang Wanqing était aussi un héros de la prairie ! 

(Rédactrice : Lucie ZHOU)